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MÉMOIRES DU MARÉCHAL JOFFRE
le dessein avait été arrêté au mois de décembre 1915, au cours de la conférence de Chantilly.
C’est le récit de cet effort d’ensemble, auquel je crois n’avoir pas été étranger, que je voudrais mettre en lumière dans cette dernière partie de mes souvenirs. Je ne suis pas éloigné de penser que l’action de coordination des forces alliées que je fus amené à exercer grâce à la bonne volonté des commandants en chef de la coalition, est généralement ignorée. Sans chercher à démontrer que nous réalisâmes le maximum de résultats, je tiens à dire qu’en l’absence d’une autorité qu’aucune lettre de service ne me conférait sur les armées alliées, j’ai conscience d’avoir fait tout ce qui était en mon pouvoir pour y suppléer. Qu’il m’ait fallu beaucoup de diplomatie, de patience et de ténacité, ce n’est pas à moi de le dire.
Le récit qui va suivre montrera au lecteur la longue chaîne d’obstacles toujours renaissants qui se dressa tout au long de cette année sur la voie que je m’étais tracée. Et cela éclairera peut-être la religion des impatients qui, en regard des résultats à leurs yeux insuffisants, omettaient de placer les difficultés auxquelles je ne cessais de me heurter.
D’ailleurs, pour mesurer les fruits de cette année 1916 si fertile en grands événements, et qui nous fit toucher de près la victoire — c’est mon sentiment le plus profond, — il suffit de les comparer à ceux de l’année suivante. Pour des raisons que je n’ai pas à connaître, puisqu’à ce moment mon rôle était terminé, notre coalition, en cette année 1917, dispersa de nouveau ses efforts, et manqua de payer au printemps 1918, par une catastrophe définitive, le retour aux errements de 1915 que je m'étais efforcé de modifier.