LES OPÉRATIONS EN 1915
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Cette lettre mérite qu’on s’y arrête un instant. French,à ne considérer que les textes officiels et les déclarationstrès catégoriques de son gouvernement, était mon égal,et il ne dépendait que de son gouvernement. Dans la lettredont je viens de citer un extrait, on voit qu’il avait fait unplan qui ne rentrait pas dans mes vues. A ma demande,il renonçait à ce plan pour se plier au mien, et, par une dis-cipline du cœur et de l’esprit remplaçant tous les pro-tocoles, il inclinait sa volonté devant les désirs expriméspar moi « en tant que généralissime ». J’aurai à plusieursreprises à m’étendre, dans la suite de ces Souvenirs, surVabsence de commandement suprême dans notre camp, quiétait une des sources majeures de nos faiblesses. Mais jesuis heureux de pouvoir témoigner ici, combien l’attitudedu commandant en chef anglais et plus tard celle desir Douglas Haig atténuèrent dans la mesure du possiblecette grave lacune par l’autorité que, galamment, ils mereconnurent.
Cependant, les nouvelles de Russie nous faisaient sentirl’urgence de déclancher notre offensive. Les armées dutsar évacuaient progressivement la Pologne ; le 5 août,les Allemands entraient à Varsovie , le 19 à Novo-Georgievsk,le 20 à Bialistock. Trois nouvelles divisions allemandesétaient enlevées de notre front et transportées sur lethéâtre oriental. M. Paléologue, ambassadeur de France àPetrograd, envoyait à Paris des télégrammes qui tradui-saient l’état d’âme de nos alliés. Le 14 août, M. Millerand,ministre de la Guerre, me faisait téléphoner un de cesrapports, dont voici quelques passages :
Voilà trois mois en effet que l’armée russe poursuit sonmouvement de retraite en combattant chaque jour au prix desacrifices effroyables.
Tous les officiers qui reviennent du front affirment qu’on nepeut imaginer l’horreur de cette lutte quotidienne où l’artil-lerie est sans munitions, et la moitié de l’infanterie sans fusils.
Aussi notre offensive est-elle attendue avec une impatienceextrême.