86 MÉMOIRES DU MARÉCHAL JOFFRE
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Partout, m’assure-t-on, la même question est sur toutesles lèvres : « Mais que font donc les Français? »
Je crains bien que cette armée (russe) n’arrive bientôt à lalimite de son endurance, au degré qui précède les paniques etles découragements.
Puis, en dehors de l’armée, il y a la nation. Le peuple russeest courageux et patriote, mais aucune race n’est plus acces-sible à la commisération, et je sais de source sûre que la penséedes souffrances accumulées par cette guerre commence àémouvoir les masses.
Je souhaite donc que notre offensive ne soit pas plus long-temps différée.
D’un autre côté, dans les hautes sphères gouvernementalesfrançaises, l’idée d’une offensive aussi importante que celleque je me proposais de déclancher, rencontrait des résis-tances auxquelles je ne m’étais pas attendu.
Le président de la République, M. Poincaré, ayant reçule 6 août les membres de la mission militaire française enItalie venus en France, leur avait fait part de son intentionde me demander communication du prochain projet d’of-fensive. Ce projet devait être examiné par les membresdu gouvernement et, s’il ne présentait pas le maximum degarantie de succès, son exécution en serait remise. Le Pré-sident se déclarait peu partisan d’une action offensiveimportante sur notre front. Son argumentation était la sui-vante : il ne faut pas qu’au printemps prochain nous noustrouvions en état d’infériorité vis-à-vis des Alliés au pointde vue des effectifs. Nous devons pouvoir, au momentdu règlement de comptes, appuyer nos revendicationssur une force réelle.
Les termes de cette déclaration, qui constituait à mesyeux une dangereuse ingérence du gouvernement dans laconduite des opérations, montraient que le Président n’avaitpas en moi la confiance absolue qui m’était nécessaire pour lemaintien de mon autorité. M. Albert Sarraut , ministre del’Instruction publique, qui assistait à l’entrevue, le fit re-marquer à M. Poincaré. Celui-ci atténua alors sa première