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MÉMOIRES DU MARÉCHAL JOFFRE
serbe était incapable à elle seule de conjurer. Je connais-sais toutes ces difficultés. Mais l’art à la guerre consisteà faire des choses qui paraîtraient en temps normal impos-sibles, et j’estimais dangereuse pour les Serbes commepour l’Entente, cette ankylosé des troupes du roi Pierre.
En mars 1915, le grand-duc Nicolas, qui préparait unegrande offensive dans les Carpathes , chercha à se procurerla coopération de l’armée serbe à qui il demanda de con-juguer ses efforts avec ceux de la gauche russe qui devaitdéboucher dans la plaine hongroise. Un peu plus tard,quand l’Italie eut décidé d’entrer en guerre à nos côtés,une convention fut signée entre elle et la Russie (1),destinée à coordonner les efforts de ces deux puissancescontre l’Autriche. On proposa à la Serbie de s’y asso-cier. Cette fois, au lieu de lier son action à celle de lagauche russe, l’armée serbe la combinerait avec une offen-sive de la droite italienne, en marchant sur Laybacb. Ladébâcle russe qui commença au mois de mai fit échouer leplan d’action du grand-duc Nicolas. La distance (environ400 kilomètres) qui séparait les forces serbes de l’objectifqu’on leur proposait, fit reculer le voïvode Putnik quiavait conservé mauvais souvenir d’une tentative d’offen-sive esquissée en Syrmie dans les dernières semainesde 1914. Et la Serbie retomba dans son inaction. Elle nedevait en sortir qu’au moment où l’accabla la catastrophede l’automne 1915.
On voit par là que chaque peuple de l’Entente n’agis-sait que dans la mesure où il croyait pouvoir le faire. Lesévénements des Dardanelles et de Salonique, qui allaiententraîner l’Entente dans une série d’opérations très com-plexes comme toutes celles qui touchent à l’Orient, illus-treront ce que je viens de dire sur les inconvénients queprésentait pour la coalition l'absence de direction suprême.
L’Allemagne , qui longtemps avant le début de la guerremondiale, avait mené une politique habile et suivie en
(1) Convention du 21 mai 1915.