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MÉMOIRES DU MARÉCHAL JOFFRE
temps reconnue de réaliser l’unité de direction. Elle ne sauraitêtre en des mains plus prudentes ; le mérite du généralissimeest d’avoir su ménager ses effectifs au point qu’ils constituentà l’heure actuelle, et qu’ils constitueront surtout, après le tra-vail de réfection générale qui se poursuit, une armée plus fortequ’au commencement des hostilités.
La victoire de la Marne, l’attitude défensive à laquellel’armée allemande se voyait maintenant contrainte avaientfait également une forte impression sur les autres, quiétaient tous plus ou moins dominés au début du conflitpar la croyance à la supériorité de la force allemande.C’est ainsi que d’Espagne où nous ne comptions pas quedes amis, notre attaché militaire me signalait l’estimedans laquelle le roi me tenait (1).
Mais, à mesure que la guerre se prolongeait sans ré-sultat apparent, l’opinion publique s’inquiétait. Cette guerresi intense dans son immobilité avait, d’ailleurs, je le re-connais, de quoi ébranler les nerfs .les plus solides. AuParlement et dans les commissions, l’inquiétude se mani-festait sous les formes les plus variées. Les uns reprochaientau commandement français de n’avoir pas encore trouvéune solution décisive pour chasser l’ennemi de notre sol.D’autres lui faisaient un grief de se livrer à des attaquespartielles qui ne nous permettaient pas d’utiliser la supé-riorité de nos effectifs. On s’inquiétait aussi des libertésque le ministre de la Guerre m’avait laissé prendre ; oncritiquait ma correspondance directe avec les commandantsen chef alliés ; on me reprochait de nommer moi-même auxgrands emplois des armées en campagne et de retirerleur commandement aux généraux qui me paraissaient
(1) Extrait d’une lettre du colonel Tillion, attaché militaire auprèsde l’ambassade de France à Madrid , en date du 22 février 1916 :
« Mon général, comme vous le constaterez en lisant mon rapportdu 17 février relatif à mon audience du roi d’Espagne , Sa Majestém’a chargé de vous transmettre l’expression de son admiration.C’est la troisième fois que le souverain me parle de vous en termesparticulièrement chauds et élogieux.. »
(Dossier strictement personnel du général commandant en chef,t. II, cahier 3, pièce 67.)