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MÉMOIRES DU MARÉCHAL JOFFRE
en Argonne et au début de l’automne en Champagne ,nous manquâmes de peu de réaliser de grands résultats.Le secret mieux observé de nos préparations, un beautemps persistant, l’occasion fugitive mieux exploitée parle commandement local, eussent peut-être suffi à décrocherl’ennemi de ses tranchées et à le rejeter, Dieu sait où?Et peut-être eussions-nous obtenu plus facilement ces avan-tages, si nos alliés n’eussent été en si grand état d’infério-rité par rapport aux Allemands. Il ne faut, en effet, pasperdre de vue qu’en cette année 1915, l’Angleterre n’enétait qu’au premier stade de son organisation militairequi ne donna son plein effet que lorsqu’elle eut adopté laconscription, la Russie roulait de défaite en défaite etl’Italie entrait à peine dans la guerre.
En ce qui concerne ma correspondance avec les com-mandants en chef alliés, dont on me faisait aussi un grief ,j’estimais qu’il était de l’intérêt de notre cause et de mondevoir le plus strict, non seulement de la maintenir, maisencore de la développer. Si je n’avais pas eu cette lati-tude, comment les alliés déjà si lents à s’entendre seraient-ilsarrivés à mettre sur pied l’expédition de Salonique dontj’ai marqué les difficiles débuts? Comment aurais-je puobtenir les résultats que j’acquis à la conférence de Chan-tilly, en décembre 1915, où, pour la première fois, futdressé un plan d’ensemble pour les actions jusque là iso-lées de notre coalition? Et j’ai conservé un trop vivacesouvenir des interminables discussions auxquelles prirentpart les hommes de gouvernement et les militaires, lorsdu début de l’affaire des Balkans , pour garder la moindreillusion (si j’en avais jamais eu) sur l’efficacité de ces con-seils de guerre, où vingt-cinq ou trente personnes serangeaient autour d’une table.
Pour ce qui regarde les commandements à donner ou àretirer, j’en ai déjà parlé à plusieurs reprises. J’y reviendraiici seulement pour affirmer que, responsable vis-à-vis dugouvernement, je considérais comme un devoir impérieuxpour moi de pouvoir choisir à mon gré mes collaborateurs.Les désignations que j’ai faites comme les sanctions que