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MÉMOIRES DU MARÉCHAL JOFFRE
trouvés ; d’autres s’estimaient plus utiles au Palais-Bour-bon ; d’autres faisaient la navette entre le Parlement etl’armée, ce qui ne manquait pas de créer des situationsfausses à des hommes qui se trouvaient procéder ainside deux hiérarchies, et qui vivaient momentanément au mi-lieu des combattants sans dépouiller la mentalité d’hommespolitiques. En l’absence d’un texte législatif, je ne pouvaisobliger les membres du Parlement à choisir leur placeà la Chambre ou aux armées, et à s’y tenir. Je ne pouvaispas davantage empêcher un député ou un sénateur decirculer à titre privé dans la zone des armées, d’y recueillirdes doléances de militaires aigris ou ambitieux , habilesou mal informés. Tout au plus pouvais-je exiger que cesparlementaires se soumissent dans la zone des arméesaux règles de contrôle imposées a tous les citoyens, etj’y tins la main. Il n’en restait pas moins que les proposainsi recueillis et rapportés à l’intérieur avec plus ou moinsd'exactitude , se traduisaient souvent en articles de pressequ’une censure généralement maladroite laissait passer,ce qui m’obligeait à de fréquentes protestations auprèsdu ministère de la Guerre, sans compter les regrettablesindiscrétions qui se produisaient constamment et dontsouffrait le secret de nos opérations.
Au bout d’un certain temps, la majorité des parlemen-taires mobilisés regagna la Chambre. A partir de ce momentun certain état d’esprit s’y fit jour, tendant à établir surles opérations le « contrôle parlementaire ».
Je laisse aux juristes de l'avenir le soin de discuter lebien fondé de cette prétention. Tout ce que je peux direc’est qu’il me parut toujours inadmissible et que je m’yopposai de toutes mes forces.
Je ne saurais mieux faire que de reproduire ici unelettre personnelle que j’adressai, le 26 juin 1915, au ministrede la Guerre, et qui résume exactement mon point devue. Je n’ai rien à y ajouter, nia y retrancher aujourd’hui.Et je suis convaincu que, si le gouvernement s’était rangéouvertement à mon opinion qu’il partageait en son forintérieur , il se serait évité à lui-même bien des déboires