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MÉMOIRES DU MARÉCHAL JOFFRE
attributions et les responsabilités de chacun, il est plusindispensable encore que le commandant en chef sur quirepose, en définitive, le poids des événements, se senterevêtu de la confiance du gouvernement et du pays. End’autres termes, là plus encore que partout ailleurs, les ins-titutions ne valent que par l’esprit dans lequel on les faitmouvoir.
Or, à ce moment de la guerre, un courant se dessinaitqui paraissait vouloir déplacer les attributions et décernerau futur ministre de la Guerre la direction suprême desopérations. Laissant de côté la personnalité du généralGalliem, qui eût été parfaitement de taille à assumer unepareille tâche, j’estimais la solution dangereuse : pour lemontrer, il me suffisait de me demander si elle serait appli-cable le jour où, le ministère tombant (et par définition lesministères sont instables), le général Gallieni céderait laplace à un ministre civil, qui ne saurait prétendre à dirigerles opérations. Et, au cas où le général Gallieni viendraità être remplacé par un militaire, on risquait de voir lesopérations changer de direction à chaque renversement deministère. Il n’était pas besoin de beaucoup d’imaginationpour concevoir les complications inextricables que de pareilschangements entraîneraient dans la conduite de nos affairesmilitaires.
M. Briand était un habile homme et un clairvoyant poli-tique. S’il n’aimait pas heurter de front les obstacles, ildiscernait très clairement ceux qui se dressaient sur saroute. Dans sa déclaration ministérielle du 3 novembre 1915,il trouva pour définir la politique du nouveau gouvernementune formule heureuse : « L’unité de front 1 » Cette unité defront ne pouvait se réaliser que par l’unité d’action de tousles alliés. Celle-ci, en l’absence d’un commandement uniquequi était encore à naître, n’était possible qu’à la conditionqu’un plan d’ensemble pût être mis sur pied. Le présidentdu Conseil savait que mes efforts tendaient à ce but, et quej’étais sur le point d’y atteindre par la conférence qui allaits’ouvrir le mois suivant à mon quartier général.
Mais avant de réaliser l’unité d’action entre les alliés,