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MÉMOIRES DU MARÉCHAL JOFFRE
Le 20 décembre, French vint me faire ses adieux : c’estavec émotion que je lui serrai les mains ; il avait été lecompagnon des heures les plus sombres de la guerre, etje ne pouvais oublier avec quelle loyauté il avait toujoursaccompli ce qu’il avait promis : je lui remis la croix deguerre devant un bataillon de zouaves. Deux jours après,je recevais la première visite du général Haig : j’avaisfait sa connaissance avant la guerre, et j’avais eu l’occa-sion, depuis août 1914, d’apprécier ses talents militaires.Il m’assura qu’il ferait tous ses efforts pour que nos re-lations fussent aussi amicales que possible. Cette premièreentrevue me produisit la meilleure impression, et pour nepas perdre de temps, je l’invitai à assister le 29 décembreà une conférence à laquelle j’avais convié les commandantsde groupe d’armées et à laquelle devaient assister le pré-sident de la République, le président du Conseil et leministre de la Guerre et où devait être discutée l’attitudeà tenir sur notre front.
En effet, en ce qui concernait le front français, j’avaisdéjà prévu certaines précautions permettant de laisserl’armée hiverner en situation défensive sans avoir à re-douter la reprise d’une attaque : les mesures qui m’avaientparu le plus propres à ce résultat étaient l’allégementgénéral du front de façon à grossir le nombre des réserveset des troupes à l’instruction ; j’avais en outre décidé demettre en réserve l’état-major de la 2 e armée et de chargerson chef, le général Pétain, de diriger la préparation desréserves aux offensives à prévoir en exécution de la con-férence de Chantilly. En répartissant nos réserves der-rière les parties sensibles du front, il me semblait que nousserions à l’abri d’une attaque brusquée de l’ennemi.
C’est cette manière de voir que j’exposai le 29 à Chan-tilly devant le gouvernement qui s’était inquiété de bruitsdivers d’offensive ennemie, et devant le général Haig :à mon avis, en effet, l’armée britannique semblait avoirune trop grande densité de troupes sur le front et de tropfaibles réserves ; outre que ces dispositions me parais-saient dangereuses dans l’hypothèse d’une attaque enne-