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MÉMOIRES DU MARÉCHAL JOFFRE
vue d’étendre le front d’attaque prévu pour le grouped’armées du Nord entre la Somme et Lassigny (1), etde me faire connaître son avis sur ce qu’on pouvait at-tendre d’une opération de cette nature. Ce n’est que le14 février 1916 que l’entente se réalisa définitivemententre le général Haig et moi sur le principe d’une attaquejointive avec notre attaque à cheval sur la Somme quiaurait lieu vers la fin de juin, ou dès le mois d’avril sila Russie était menacée par une offensive puissante.
En effet, les pourparlers furent assez longs, car l’état-major britannique avait étudié et donné ses préférencesà un grand projet d’offensive en direction d’Ostende avecle concours de la marine, des forces belges et françaises,auquel il attachait une très grande importance. Mais, trèsloyalement, le général Haig s’efforça d’entrer dans mesvues, et l’entente, si elle fut lente, fut absolue. D’ailleursil était très clair que l’armée britannique était loyalementdisposée à faire tous les sacrifices, mais comme l’avouaitun jour une haute personnalité militaire à l’un de nosofficiers : « Elle avait à compter avec les politiciens anglais qui, après les Allemands, étaient ses pires ennemis (2). »Le gouvernement anglais voyait avec regret l’espèce desubordination des projets de Haig à ceux du commande-ment français : il redoutait d’être entraîné à des sacri-fices en hommes difficiles à faire accepter à l’opinion et,de ce fait, son ingérence dans les opérations semblaitcertaine et limitative de l’effort que les armées britan-niques fourniraient en 1916.
Depuis longtemps d’ailleurs le War Office avait laissépercer son sentiment sur la façon de comprendre le déve-loppement ultérieur de la guerre, diamétralement opposéà celle qui avait prévalu à la conférence de Chantilly :il cherchait à observer une attitude défensive en France et à porter son effort vers l’Orient et les colonies. D’ail-leurs le chiffre des engagements volontaires diminuait,
(1) Lettre du 26 décembre au général Haig.
(2) Voir p. 231.