l’entente avec les russes
175
t.rera jusqu’où allait cet esprit de dissimulation : dansla séance du 7 décembre, j’avais invité les représentantsdes armées alliées à fournir des renseignements sur lasituation de leurs armées : le général Gilinski (1) pritle premier la parole et contesta très vivement le chiffreque nous savions être celui qui représentait les effectifsréels des armées russes : alors que, d’après nous, ces effec-tifs ne dépassaient pas un million et demi, le général pré-tendit qu’ils atteignaient le chiffre de 2 700 000 hommes.La différence était sensible. Pour confirmer nos chiffres,j’offris de lire un télégramme que je venais de recevoirde Petrograd , très affirmatif et très net au sujet des effec-tifs russes : le général s’opposa à la lecture du document ;je le lui remis, alors il le lut rapidement et, fort encolère, l’enfouit dans sa serviette ; le télégramme accusait1360 000 hommes seulement sur le front dont 160 000sans fusils 1
L’incident assez vif avait produit sensation : il étaitclair que la confiance ne régnait pas entre l’état-majorrusse et le nôtre (2).
D’ailleurs depuis quelque temps on constatait en Russie des symptômes de lassitude ou plutôt d’indifférence àl’égard de la guerre ; l’âme russe est prompte à se détournerde ses rêves ; cependant l’empereur nous restait inébran-lablement fidèle (3).
Toutes ces circonstances me faisaient redouter que nosalliés ne missent pas toute l’activité désirable à appliquerles décisions de la conférence. Cette impression se con-firmait d’ailleurs peu de temps après cette conférence :je reçus la demande de déclancher une offensive contre
(1) Le général Gilinski que j’avais connu à Petrograd commechef d’état-major m’avait laissé l’impression de n’être ni très fort,ni très franc : il avait partie liée avec le général Soukomlinoff,ministre de la Guerre, dont on sait le triste rôle qu’il joua pendantle temps qu’il fut au pouvoir.
(2) Le Flambeau, 31 juillet 1924. Correspondance Gilinski avec legénéral Danilov, quartier-maître du grand-duc Nicolas.
(3) Télégramme de M. Paléologue, ambassadeur de France àPetrograd, du 27 décembre 1915.