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MÉMOIRES DU MARÉCHAL JOFFRE
la presse, l’opposant le plus tenace à toute opérationdans cette région (1).
J’étais allé à Londres, les 29 et 30 octobre, pour essayerde convaincre lord Kitchener de la nécessité de resterà Salonique pour sauver l’armée serbe. Mes représenta-tions furent aussi énergiques que possible, si bien que j’ob-tenais la promesse du cabinet anglais qu’il coopérerait avecnous en Orient par l’ouverture et le maintien de commu-nications ferrées entre Salonique et Uskub. Ainsi doncla question semblait en bonne voie d’accord, et Kitcheners’embarquait le 6 pour l’Orient où il comptait s’assurerpersonnellement des possibilités. A son passage à Paris, il était reçu par M. Briand qui mettait à le convaincretoute sa force de persuasion. Il vint également me voirà Chantilly ; je le trouvai toujours convaincu que notreaction à Salonique était trop tardive pour lui permettrede sauver la Serbie, et toujours préoccupé du théâtreégyptien. Quant aux Dardanelles, son opinion demeuraitla suivante : « Si nous demeurons aux Dardanelles, uneattaque de l’Égypte reste toujours possible ; si nous nousretirons, c’est chose certaine. »
Lord Kitchener était de retour à Londres le 20 novembre :d’après plusieurs indications, il semblait bien que sonvoyage ne l’avait pas amené à partager nos vues. En par-ticulier j’avais été avisé par le colonel Girodon, qui avaitaccompagné lord Kitchener en Orient, qu’à Moudros, le10 novembre, au cours d’une conférence, il avait émisl’avis qu’il convenait d’évacuer partiellement les Darda-nelles, et de débarquer quatre divisions dans le golfed’Alexandrette pour couper le chemin de fer de Bagdadet assurer ainsi une couverture à distance de l’Égypte. Cet avis me paraissait dangereux car il devait amenerun émiettement des forces de la coalition et risquaitd’ailleurs de se heurter aux mêmes difficultés qu’avaitrencontrées déjà la fâcheuse expédition des Dardanelles.
(1) J’eus l’occasion de m’en apercevoir au cours de la visite queje lui Os le 29 novembre 1915.