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MÉMOIRES DU MARÉCHAL JOFFRE
Des mesures ont été prises pour assurer le transport trèsrapide en chemin de fer des réserves du commandant en chef(dans toute la mesure des moyens que laisse à notre dispositionla crise actuelle des transports par voie ferrée).
En définitive, j’estime que rien ne justifie les craintes quevous exprimez au nom du gouvernement dans votre dépêchedu 16 décembre.
Mais puisque ces craintes sont fondées sur des comptesrendus, vous signalant des défectuosités dans la mise en étatde défense, je vous demande de me communiquer ces comptesrendus et de me désigner leurs auteurs.
Je ne puis admettre en effet que des militaires placés sousmes ordres fassent parvenir au gouvernement, par d’autresvoies que la voie hiérarchique, des plaintes ou des réclamationsau sujet de l’exécution de mes ordres. Il ne me convient pasdavantage de me défendre contre des imputations vagues dontj’ignore la source.
Le seul fait que le gouvernement accueille des communica-tions de ce genre, provenant, soit de parlementaires mobilisés,soit, directement ou indirectement, d’officiers servant au front,est de nature à jeter un trouble profond dans l’esprit de dis-cipline de l’armée. Les militaires qui écrivent savent que legouvernement fait état de leurs correspondances vis-à-vis deleurs chefs. L’autorité de ceux-ci en est atteinte ; le moral detous souffre de ce discrédit.
Je ne saurais me prêter à la prolongation de cet état dechoses.
J’ai besoin de la confiance entière du gouvernement. S’ilme l’accorde, il ne peut ni encourager, ni tolérer des pratiquesqui diminuent l’autorité morale indispensable à l’exercicede mon commandement et faute de laquelle je ne pourraiscontinuer à en assumer la responsabilité.
J. Joffre.
L’incident se termina par une réponse de Gallieni quiprenait acte de mon explication : « Le gouvernement apleine confiance en vous, m’écrivait-il, et son désir d’êtrerenseigné sur la situation ne saurait être considéré commeune manifestation de défiance vis-à-vis de vous (1). »
(1) Lettre du ministre de la Guerre en date du 22 décembre 1915.