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MÉMOIRES DU MARÉCHAL JO FF RE
D’ailleurs, cette difficulté s’aplanit d’elle-même, à nosfrais hélas, car la bataille de Verdun qui s’alluma le 21 fé-vrier vint jouer avec une terrible intensité ce rôle de lutted’usure que j’aurais tant voulu épargner à nos soldats.
A peu près dans le même temps, j’eus l’occasion deconstater, toujours â nos dépens , les méfaits de la poli-tique.
Dans le courant de janvier 1916, j’eus vent que, dans leshautes sphères militaires anglaises, on commençait à sefaire une opinion défavorable sur la valeur morale del’armée française, et on mettait en doute, pour l’avenir,sa capacité offensive. Le général D. Haig paraissait avoirfait sienne cette opinion, et il basait sa conviction sur desrapports de sources diverses dont nous n’avions pu dé-terminer l’origine. Cela ne manquait pas de me préoccu-per, et surtout de m’étonner, en raison de la tâche magni-fique que nos armées avaient accomplie jusque-là, et quiméritaient mie appréciation plus équitable de nos alliés.J’eus bientôt l’explication de cette énigme.
Le 10 janvier 1916, M. Clemenceau, alors sénateur,s’était rendu à Rousbrugge, au quartier général du 36 e corpsd’armée. Et là, en présence du capitaine anglais Reece,agent de liaison de la 2 e armée britannique près du 36 e corps,il avait donné libre cours à sa verve, tenant les proposles plus pessimistes sur la situation morale actuelle del’armée française, faisant ressortir l’énormité des pertessubies, et concluant que nous étions désormais dans l’im-possibilité de reprendre l’offensive. L’officier anglais avaitnaturellement rendu compte de ces propos à ses chefsqui y avaient attaché d’autant plus d’importance que lapersonnalité de leur auteur était plus en vue. Le capitaineReece s’en ouvrit également à l’un de nos officiers, ajou-tant textuellement : « Si ces faits sont exacts, M. Clemen-ceau aurait dû les taire par patriotisme ; s’ils sont faux,cet homme est un misérable. »
D’autre part, il était de notoriété publique qu’un per-sonnage de moindre importance, M. Boudenoot, sénateurdu Pas-de-Calais, propageait, tant par ses écrits que par