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MÉMOIRES DU MARÉCHAL JOFFRE
J’ai dit dans un chapitre précédent que le but le plusintelligible qu’on ait pu prêter au commandement alle-mand dans son offensive contre notre place forte de l’Est,c’était d’user nos réserves pour interdire à l’armée fran-çaise de participer aux offensives ultérieures sur notrefront. Inversement, le but que je me suis fixé, dès que labataille de Verdun entra dans sa phase évidente de lutted’usure, fut de conduire cette opération défensive soussa forme la plus économique.
La cpnférence de Chantilly me donnait le droit dedemander aux Anglais d’attaquer, pour soulager la pres-sion qui s’exerçait sur nous à Verdun . Si je ne fis pas jouercette clause, ce n’est pas par une vaine forfanterie, pourmontrer au monde que la France était de taille à releverune fois de plus le gant qui lui était jeté. S’il y avait eudanger de catastrophe, j’aurais certainement fait appel auxAnglais et je suis sûr qu’ils auraient répondu à mon appel.Mais je savais qu’ils n’étaient pas prêts. Ni leur matériel,ni le nombre de leurs réserves, ni le degré de préparationde leurs troupes ne mettaient le général D. Haig en étatd’entreprendre quelque chose d’efficace. Les engager pré-maturément en faisant appel à leur honneur et à leur espritde solidarité, c’était tuer dans l’œuf la bataille que nousdevions mûrir ; c’était faire le jeu de l’ennemi. Et ce que j'aidit sur l’influence de leurs politiciens, suffirait à fournir lapreuve de ce que j’avance. « Après avoir perdu 50 à60 000 hommes, comme le disait Davidson, l’armée anglaisen’aura plus la permission d’attaquer d’ici la fin de l’année. »
Je me contentai donc de demander aux Anglais de mecréer des disponibilités, en relevant notre 10 e armée. C’étaitdu reste une question déjà admise en principe par legénéral Haig, antérieurement à la bataille de Verdun. Cetteaide indirecte, demandée par moi le 22 février, ne se fit pasattendre. Dès le lendemain le général Haig me réponditque non seulement il avait donné des ordres pour releverimmédiatement la 18 e division française et ultérieurementle 17 e corps, mais qu’il comptait, en outre, faire unedémarche personnelle à Londres afin d’obtenir l’envoi de