276 MÉMOIRES DU MARÉCHAL JOFFRE
leurs adversaires, le tsar en avait pris personnellement lecommandement. Le départ du grand-duc Nicolas pour leCaucase fut un immense malheur pour la Russie et pourmus. C’était peut-être le seul homme qui jouissait d’assezde prestige et d’autorité pour faire sortir les armées russesde la passe difficile dans laquelle elles s’étaient engagées.Sans manifester le moindre regret ni la moindre mauvaisehumeur, il s’inclina devant la décision de l’empereur ets’en alla prendre le commandement des armées russes duCaucase.
Je reçus, à ce sujet, un télégramme du général deLaguiche, daté du 26 août-2 septembre 1915, que je tiensà reproduire ici, car il met en lumière la grandeur d'âmedu grand-duc. Par les éloges qu’il faisait de son succes-seur, il cherchait évidemment à atténuer les regrets quenous causait son départ.
25 août-2 septembre 1915 .
Le grand-duc. m’a chargé de faire connaître à M. Millerandet au général Joffre la conviction qu’il emportait des senti-ments qu’ils lui garderaient à la suite de cette année de colla-boration.
Le grand-duc ajouta : « Ne parlons pas de cela, ni vous, nimoi. Nous n’avons pas besoin de mots pour nous comprendre.Inutile de faire des phrases d’autant plus que le sujet est délicatet que nous ne pouvons pas nous exprimer en toute liberté,mais il est une chose que je tiens à dire. Eh bien, je peux vousdonner ma parole de soldat — et vous respecterez ces termes, —que mon départ ne change rien. L’armée française peut avoirdans le travail du général Alexeiefï la même confiance que dansle mien. Nous nous connaissons, lui et moi, de longue date,nous avons souvent travaillé ensemble, notre tournure d’es-prit est la même, nos vues identiques. C’est un troupier et àdemi-mots nous nous comprenions sans explications. A causede cela, ces derniers jours, le travail a été plus productif qu’avecmes collaborateurs antérieurs que l’on m’avait donnés alorsque je ne les avais jamais vus auparavant. »
Le grand-duc me confirma à cette occasion que l’empereurprenait effectivement le commandement des armées, mais que,en son absence, selon la tradition, le commandement était