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MÉMOIRES DU MARÉCHAL JOFFRE
l’Entente au moment où les peuples étaient justementen droit de recueillir les fruits de leurs sacrifices. A cemoment je regrettai une fois de plus, amèrement, le départdu grand-duc Nicolas, si intelligent, si énergique et si loyalcommandant en chef des armées russes du début de laguerre.
La lourde faute commise à ce moment par le commande-ment russe, que les Roumains payaient si cher, et dontles Russes eux-mêmes n’allaient pas tarder à supporterles terribles conséquences, achevait de m’éclairer sur l’étatde crise latent qui couvait au grand quartier généralrusse. J’en eus à mon quartier général le contre-coup.
Je veux parler d’une série d’incidents que provoquale général Gilinski.
J’ai parlé déjà à plusieurs reprises, dans ces Souvenirs ,du général Gilinski. J’ai indiqué quelles étaient ses rela-tions avec le ministre de la Guerre russe, le général Sou-khomlinof, dont le jeu nous était si suspect.
Néanmoins, dans les premiers mois de 1916, l’attitudedu général Gilinski fut correcte, et il me paraissait remplird’une façon satisfaisante le rôle d’agent de liaison del’armée russe auprès de moi. Un premier incident vintbrusquement m’ouvrir les yeux sur lui.
Le 30 août, l’un des officiers de sa mission, le colonelKrivenko, demanda son rappel. J’appris que Krivenkose plaignait de ce que le général Gilinski transmettaità la Stawka les rapports qu’il lui remettait sur les opéra-tions françaises, dans un sens toujours nettement défa-vorable à la France . A quel sentiment obéissait Gilinski?Je ne saurais le dire. Soukhomlinof était accusé de fairepartie de ceux qui, en Russie , désiraient une paix séparéeavec VAllemagne. Toujours est-il qu’ayant perdu touteconfiance dans l’attitude de Gilinski, j’écrivis le 16 sep-tembre au président du Conseil une lettre pour provoquerle départ du général. N’allant jamais au front, il dénatu-rait les rapports de ses officiers que j’autorisais à se rendredans les armées, et inversement, il substituait parfois sapropre opinion à celle du général Alexeiefï dans les com-