322 MÉMOIRES DU MARÉCHAL JOFFRE
l’effort supporté par la Russie , auquel nul autre ne pou-vait se comparer. Parlant au nom du général Alexeieff ,il me dit que la Russie avait perdu 600 000 hommesdepuis trois semaines, que ces pertes étaient causées par lesretards mis par les Alliés à envoyer le matériel promis (1)et par la charge supplémentaire que faisait peser surl’armée russe l’entrée en guerre de la Roumanie . En com-pensation, Alexeieff insistait pour que l’effort allié s’inten-sifiât sur Salonique . Je répliquai vertement à Gilinski que,si les pertes russes que je déplorais étaient grandes, lesnôtres n’étaient proportionnellement pas moindres et jecoupai cet entretien, qui me montrait que Gilinski necherchait pas à renseigner son commandement supérieur,ni sur ce que nous faisions, ni sur les difficultés que jerencontrais dans l’aide que je cherchais à donner auxRusses .
Dix jours plus tard, comme je revenais d’une tournéede la Somme, j’appris que Gilinski était rappelé. Il partitaussitôt.
Le 14 novembre, je reçus la visite du général Palitzine,qui venait comme représentant du grand quartier généralrusse à la conférence interalliée qui allait s’ouvrir à Chan-tilly pour préparer les plans d’action de la coalition pourl’année 1917.
Palitzine me parla avec une très grande franchise deGilinski, et c’est par lui que j’appris les détails quim’avaient échappé sur l’action de ce dernier et en particu-lier sur ses différends avec le colonel Krivenko.
(1) A noter qu’un télégramme du général Janin me faisait con-naître dans le même temps que la production de munitions enRussie s’élevait par jour à 100 000 coups de canons de campagneet 13 000 coups d’artillerie lourde.
Le stock s’élevait à 2 millions de projectiles de campagne et240 millions de cartouches.
En un mois les Japonais avaient envoyé aux Russes 28 000 fusilset 33 000 carabines.
Si l’on songe à l’état de l’armement de l’armée russe un an avant,on était en droit de penser que les alliés de la Russie avaient bientravaillé pour elle