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MÉMOIRES DU MARÉCHAL JOFFRE
tants serait capable d’assimiler les Allemands qui se trou-veraient à l’intérieur de ses frontières.
La Hongrie réduite à la plaine hongroise cesseraitd’être pour l’Europe un élément de désordre.
Au sud, les Yougoslaves (Slovènes et Serbo-Croates )formeraient une masse de 6 millions d’habitants qui s’ag-gloméreraient certainement à la Serbie . Le royaume deSerbie ainsi agrandi, formé de 13 millions d’habitants, de-viendrait une grande puissance balkanique, sur l’amitié delaquelle la France serait sûre de pouvoir compter.
Quant à l’Italie , elle achèverait son unité en reprenantle Trentin jusqu’à Brenner, le comté de Gorizia , la pénin-sule d’Istrie et une bande de côte de part et d’autre deZara .
La Pologne . — Restait la question polonaise. Elle étaitépineuse, et serait difficile à résoudre.
Il y avait au centre de l’Europe une masse de 25 mil-lions de Polonais, très homogène, qui aspirait ardemmentà recouvrer son indépendance. Sur cette masse, la moitiéà peu près étaient sujets russes.
La Russie admettrait-elle, à son flanc, la séparant del’Europe, un État catholique, ayant une autonomie réelleet une vie nationale propre? Tout, dans le passé de laRussie, combattait cette hypothèse. La politique russeavait toujours eu pour bases trois principes : orthodoxie,autocratie, nationalité russe. On devait s’attendre à ceque la Russie exigeât un droit de contrôle et de protec-tion sur la Pologne ressuscitée. Si c’était pour la traitercomme le royaume du Congrès, mieux vaudrait ne rienchanger au sort actuel des Polonais. Tout ce qu’ils ygagneraient, ce serait de souffrir ensemble, et les Polo-nais d’Autriche y perdraient. Il fallait donc espérer que laRussie s’engageât à faire des concessions sincères. Ëtait-cepossible? Oui, si le gouvernement des tsars était assezintelligent pour comprendre qu’un monde nouveau sorti-rait du grand cataclysme que nous traversions à cetteépoque.