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MÉMOIRES DU MARÉCHAL JOFERE
dans un pays dont les nerfs étaient soumis à une trop rudeépreuve pour qu’on acceptât de le laisser s’agacer par descampagnes qui devaient finir par jeter le trouble dansles esprits.
Le 7 juillet, alors que le Comité secret du Sénat sepoursuivait, le ministre de la Guerre vint me voir. Aprèsm’avoir demandé des précisions sur les opérations encours dans la Somme, il me posa des questions sur lespoints qui tenaient particulièrement à cœur aux milieuxpolitiques, je veux dire : le contrôle parlementaire et laréduction des effectifs du grand quartier général. Je luirépondis que je ne perdrais pas de vue ces questions, maisque pour l’instant, l’application de ces mesures me parais-sait inopportune : la bataille de la Somme était à sondébut et réclamait toute mon attention.
Le général Roques, qui se reconnaissait, depuis qu’ilétait ministre, de profonds talents politiques, me donna,en me quittant, quelques conseils : « Je connais bien lesparlementaires, me dit-il. Ce qu’il faut, c’est paraître leurdonner satisfaction et ne pas leur opposer de refus brutal.Alors, je leur cède toujours sur de petites choses, et ils s’envont contents. »
« C’est, en effet, très adroit, lui répondis-je. Mais quandtu n’auras plus de petites choses à leur céder, tu devrasleur faire des concessions sur les grandes. Et quand lesgrandes y seront passées, ils te flanqueront à la porte. »
La manière que me vantait le général Roques n’étaitpas la mienne.
On a vu, dans le cours de ce récit, que je m’efforçaisà faire respecter mes prérogatives, — non par amour-propreni par vanité personnelle — mais parce que je considéraiscomme d’un élémentaire bon sens de voir celui qui avaitdes responsabilités conserver les moyens de les porter.Et j’ai dit, dans le chapitre que j’ai consacré à la bataillede la Somme, l’incident qui surgit entre Roques et moià l’occasion d’un voyage du président de la République àVerdun. La règle que je posai avec fermeté d’accompagnerles membres du gouvernement dans leurs visites au front,