402
MÉMOIRES DU MARÉCHAL JOFFRE
lorsque se produisirent les violents incidents, dont j’aiparlé, entre le général Sarrail et le commandant desforces françaises, le général Cordonnier.
Il importait, pour que cette question reçût une solutionconvenable, qu’elle restât ce qu’elle était, d’ordre pure-ment militaire et qu’on ne la fît pas dévier en affaire poli-tique.
On ne sut, ou pour dire toute ma pensée, on ne voulutpas éviter cet écueil. Lorsque je fis connaître au ministrede la Guerre mon intention de faire procéder à une enquêtesur le commandant en chef de l’armée d’Orient, on a vuque le général Roques fit adopter par le gouvernementune décision qui consistait à faire mener cette enquête parle ministre de la Guerre en personne. Or, le décret dedécembre 1915 m’avait explicitement subordonné le com-mandant de l’armée d’Orient. Je vis immédiatement ledanger de cette procédure qui ouvrait toute grande laporte aux interventions politiques dans le domaine mili-taire. Si, comme on l’a vu dans le chapitre où j’ai déjàparlé de cet incident, je n’opposai pas un refus catégoriqueà la solution du ministre de la Guerre, c’est que M. Briandinsista vivement auprès de moi pour me la faire accepter.Il m’expliqua qu’il avait autant que moi le désir d’êtrerenseigné sur la situation à Salonique . « Laissez-moi faire,me dit-il, j’ai mon plan. Et si l’enquête, comme je m’yattends, est défavorable à Sarrail, c’est moi qui prendraila responsabilité de l’écarter. » Je m’inclinai.
Malgré les rapports du commandant Requin et des offi-ciers revenant de Salonique, malgré les plaintes des Russes,des Raliens et des Anglais, malgré la très fâcheuse impres-sion produite dans toute l’armée d’Orient par les violentesdiscussions entre Sarrail et Cordonnier, qui s’étaientdéroulées en public, et dans lesquelles Cordonnier n’avaitpas tous les torts, le général Roques revint, comme je l’aidit dans un précédent chapitre, en déclarant que le généralSarrail avait parfaitement accompli sa mission, que ceserait injuste de le rappeler, et qu’il suffisait de renforcerson état-major.