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MÉMOIRES DU MARÉCHAL JOFFRE
Je lui répondis dans les termes dont je m’étais serviavec le président du Conseil : j’étais aux ordres du gouver-nement, j’accepterais la mesure qu’on me proposait,mais je ne la provoquerais en aucune manière, tant j'yvoyais de désavantages.
M. Ëtienne se déclara satisfait ; il me quitta à 8 heures unquart pour porter ma réponse à M. Briand. J.e fis aussitôtprévenir ce dernier par téléphone que M. Ëtienne venaitde me quitter avec ma réponse. Cependant, vers 9 heures,le président du Conseil me téléphona pour connaître,disait-il, mon sentiment, avant le commencement du Con-seil des ministres ; je le fis connaître : il me confirma mafuture élévation à la dignité de Maréchal de France.
J’ai dit tout à l’heure que le projet gouvernementalétait théoriquement logique : la direction de la guerre, laconduite des opérations sur tous les fronts où nos troupesétaient engagées représentaient des tâches suffisantes pourun seul homme ; il y avait intérêt à les séparer des fonc-tions de commandant en chef du front du Nord-Est, pourme permettre de me consacrer tout entier aux gros etdifficiles problèmes de la direction générale de la guerre.Mais, je me rendais compte que l'organisation nouvelle, dé-finie seulement dans son principe, ne vaudrait que par lamanière dont elle serait appliquée; en particulier, ma grossepréoccupation était de voir déterminer avec précisionmes propres attributions. Ces précisions étaient d’autant plusnécessaires que le ministère qui les avait ébauchées étaitassez vacillant et il y avait lieu de redouter que le troubleprofond qui régnait dans la politique ne créât, en seprolongeant, une redoutable crise dans le commandementde nos armées.
Or, l’après-midi de ce même jour, 4 décembre, M. Briandprit la parole au Comité secret. Il annonça que le gouverne-ment se proposait d’introduire des réformes dans le hautcommandement ; le peu de précisions qu’il donna intention-nellement, probablement pour se donner vis-à-vis du Parle-ment la possibilité de manoeuvrer à sa guise, rendit laChambre houleuse.