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MÉMOIRES DU MARÉCHAL JOFFRE
par intérim, soit qualifié, malgré ses brillantes qualités,pour diriger la guerre? Que sera-ce le jour où le ministrede la Guerre sera un civil? »
Or, il y avait dès maintenant des ordres à donner,dont pouvaient dépendre les opérations à venir. Qui devaitfaire préparer ces ordres? Qui les signerait?
Le Président se tenait scrupuleusement à son rôle cons-titutionnel et il était d’autant moins désireux de paraîtreprendre parti, qu’il savait le Parlement très houleux ettrès divisé; comme je l’ai déjà dit, il avait une crainteintense que les opérations militaires ne reprissent à brefdélai sur la Somme et la perspective de mon éloignementde la direction des opérations devait lui paraître une solu-tion inespérée pour écarter l’éventualité qui l’effrayait.
Pour toutes ces raisons, le Président se contenta deprendre note de ce que je disais, sans me donner l'impres-sion qu'il partageait mon opinion.
Je vis M. Briand un instant avant de quitter Paris. Lui aussi restait sibyllin et nuageux. Il venait de fairesubir à son nouveau ministère l’épreuve d’une premièreséance à la Chambre. Il avait essuyé de violents discours.Néanmoins, le nouveau ministère avait eu une majoritéde 314 voix contre 165.
Je rentrai le soir à Chantilly. Je gardai à dîner le gé-néral Nivelle que j’avais rencontré dans l’après-midi auministère de la Marine. Le nouveau commandant en chefdes armées du Nord et du Nord-Est me témoignait unegrande déférence, et une très vive reconnaissance pour sonélévation inattendue au sommet de la hiérarchie qu’il disaitme devoir. Mais la satisfaction qu’il éprouvait de cetterapide ascension était tempérée par l’inquiétude qu’ilressentait à assumer brusquement d’aussi redoutablesresponsabilités. Il semblait qu'il prévoyait déjà les dif-ficultés qu’il n’allait pas tarder à rencontrer dans son com-mandement et qui amenèrent sa chute aussi promptequ’avait été rapide son ascension.
Il partit à 21 heures pour Souilly, où il allait passer soncommandement au général Guillaumat, qui venait prendre