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MÉMOIRES DU MARÉCHAL JOFFRE
Je lui exposai le but de ma visite : il y avait un intérêtmajeur à faire cesser au plus tôt la crise dans laquellele commandement se débattait depuis près d’un mois. Sila délimitation de mes attributions tardait, si la solutionadoptée devait restreindre mon autorité au point de neplus faire de moi qu’un inutile organe de transmission,c’est-à-dire si la définition de mes pouvoirs devait restertelle qu’elle était indiquée dans la lettre du 22 décembredu ministre de la Guerre par intérim, fêtais décidé àremettre immédiatement ma démission au gouvernement.M. Briand me répondit qu’il sentait comme moi la néces-sité de clore au plus vite une crise qui ne pouvait qu’êtrepréjudiciable aux intérêts de la France et de ses Alliés,et il me demanda de ne pas mettre mon projet à exécution ,alléguant l’effet produit par mon départ sur l’opinion enFrance , chez nos alliés et chez l'ennemi. Il m’affirma pourconclure que le gouvernement me gardait toute sa confiance.Cette affirmation était certainement sincère , mais j’étaismaintenant trop éclairé sur la situation politique pour nepas comprendre que M. Briand n'était plus libre de mettreses actes gouvernementaux d’accord avec son sentiment.Et je le quittai en lui répétant mon intention formelle dedémissionner. Au moment où je partais, il me demanda derevenir le voir le lendemain, s’excusant de ne pouvoir meprier de venir déjeuner avec lui.
L’après-midi je vis le général Lyautey ; tout de suite,et de lui-même, il me dit qu’il estimait que les questionsde conduite et de coordination des opérations ne pouvaientpas être du ressort du gouvernement ; une pareille solu-tion devait être écartée, car l’histoire donnait d’illustreset décisifs exemples de ses inconvénients. A son avis, jedemeurais le seul susceptible d’exercer ces fonctions decoordination ; même il voulut bien ajouter qu’autourde moi les Alliés avaient fait l'union , reconnaissaientspontanément ma direction , et que mon éloignementde ces hautes fonctions compromettrait l’unité d’actiondont on m’était redevable. Toutefois, il ne me cachapas que de grosses difficultés existaient en raison de