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MÉMOIRES DU MARÉCHAL JOFFHE
nion publique, et impressionné par l’opposition qu’il sen-tait grandir dans le Parlement. Les attaques dont il étaitl’objet de la part de ses adversaires politiques, le préoccu-paient visiblement ; et je regrettais pour cet honnêtehomme et ce grand patriote qu’il ne sût trouver dans laconscience de ses devoirs qu’il accomplissait avec passion,la force de mépriser ces attaques.
Je citerai un curieux exemple de l’état d’esprit danslequel M. Poincaré se trouvait à ce moment.
J’ai dit qu’il était de pratique courante dans les milieuxparlementaires de parler avec indignation de la « vie deChantilly ». Mon départ parut une bonne occasion pourfaire cesser ce soi-disant scandale. Et l’un des premierspoints sur lesquels le Président appela l’attention dugénéral Nivelle, ce fut sur l’urgence de déplacer le grandquartier général. Chantilly se prêtait parfaitement àl’installation d’un grand quartier général : la ville étaitassez petite pour qu’on pût y exercer une surveillancefacile des étrangers et des indiscrets, mais assez grandepour permettre d’y grouper tous les services et tous lesbureaux. Sa position était favorable aux liaisons avec lesgroupes d’armées du Nord et du Centre où l’activité mili-taire était localisée, et avec le grand quartier généralbritannique. Elle était favorable à mes liaisons avec legouvernement. N’importe. Il fallut transporter le grandquartier général à Beauvais , qui était plus loin du front,et très excentrique par rapport aux armées françaises.Et il en coûta 5 ou 600 000 francs au Trésor, rien que pourtransporter à Beauvais l’énorme organisation télépho-nique et télégraphique qu’on avait peu à peu réalisée àChantilly, sans parler du trouble que ce déménagementapporta dans les communications du grand quartier géné-ral. Tout cela parce qu 'une opinion publique mal informéeavait décrété que Chantilly était devenue une nouvelleSodome.
C’est la même crainte de l’opinion publique qui faisaittant redouter au Président la publication de ma lettre dedémission.