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2 (1932)
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MÉMOIRES DU MARÉCHAL JOFFRE

de la guerre, manifestaient, à mesure que les jours pas-saient, leur inquiétude et leur manque de confiance dansles projets dont ils allaient avoir à assurer la réalisa-tion.

A langoisse qui, pour les raisons que je viens de dire,métreignait, venait sen ajouter une autre qui nétaitpas moindre : la Russie , notre fidèle et loyale alliée despremières années de guerre, seffondrait dans le gâchis,le désordre et la révolution. Certains sillusionnaient sur lesconséquences dun changement de régime : on espéraitque ce changement galvaniserait les énergies, remettraitles hommes et les choses à leur place, et donnerait à la forcerusse loccasion de se développer librement. Pour moi, larévolution qui commençait, marquait le début de la chutede ce grand peuple au fond dun gouffre dont il nétait pasprès de sortir. Ce nest pas en un jour quon éduque unecentaine de millions dhommes incultes et quon leurapprend lusage dune liberté dont le nom lui-même devaitlui être étranger.

Certes, nos alliés russes avaient commis des fautes quilsallaient expier. Dans lordre militaire, le seul dont jaià moccuper ici, la première et capitale erreur commisepar le malheureux empereur avait été le renvoi du grand-duc Nicolas. Si ce dernier était resté à la tête des arméesrusses, jai la conviction que les louches intrigues qui ontamené, en 1916, la catastrophe roumaine, ne se seraient pasproduites, et que les victoires de Broussiloff auraient eude glorieux et fructueux lendemains.

Il nen restait pas moins que si, comme il fallait syattendre, la Russie achevait de seffondrer pour un tempsplus ou moins long dans lanarchie, tout un pan de laceinture qui encerclait les puissances centrales allait sécrou-ler. Les Allemands et les Autrichiens, ayant les mainslibres en Orient, pourraient alors se retourner, ceux-cicontre les Italiens, ceux- contre nous. Et cette considé-ration me faisait regretter, plus amèrement encore, queloffensive franco-anglaise, au sujet de laquelle je métaismis daccord avec le maréchal Douglas Haig , nait pas pu