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MÉMOIRES IIU MARÉCHAL JOFFRE
que cette opinion était, au moment où je m’embarquais,celle qui dominait dans les sphères gouvernementalesfrançaises et au grand quartier général.
A la réflexion, cette idée ne pouvait être défendueun seul instant. Jamais un grand peuple ayant consciencede sa dignité, et l’Amérique moins qu’un autre, ne pourraitadmettre qu’on incorporât ses citoyens, en parents pauvres,dans les rangs d’une autre armée que la leur, sous undrapeau étranger.
Il fallait donc aborder le problème de front, sans essayerde se faire illusion sur les difficultés qu’on rencontrerait,et avec la volonté arrêtée de les renverser. Je connaisl’Amérique depuis longtemps, je l’estime et je l’aime. Je saisson esprit réalisateur. Avec eux, la suprême habileté con-siste à leur parler franchement, et à leur dire sans détoursce que l’on pense.
Ma décision fut bientôt arrêtée. Je résolus de baserma ligne de conduite sur les idées suivantes : montrer auxAméricains qu’entrés dans la guerre dans une phase cri-tique qui serait, dans une plus ou moins longue échéance,décisive, ils auraient à jouer un rôle à leur mesure. Pourcela, il leur fallait créér de toutes pièces une armée dontnotre expérience nous permettrait de leur tracer le dessin ;il faudrait transporter en France les unités de cette arméeaussitôt qu’elles seraient prêtes, leur y faire poursuivrel’instruction des cadres et des troupes avec l’aided’officiers français, et leur confier aussitôt que possible,sous le commandement d’un chef américain, une partiedu front qui irait en s’agrandissant, à mesure que leseffectifs américains en France s’accroîtraient
C’est dans ce sens que je fis rédiger par mes officiers unesérie de notes que je me proposais de présenter aux auto-rités américaines et qui devait me servir de base dans lesconversations que j’allais avoir avec elles.
Pendant que nous naviguions vers l’ouest, nous arri-vèrent par T. S. F. les premières nouvelles de l’offensiveque le général Nivelle venait enfin d’entamer sur le frontfrançais. J’eus immédiatement l’impression que l’affaire