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MÉMOIRES DU MARÉCHAL JOFFRE
cabinet, je fis devant M. Baker, le général Scott, le généralKuhn et le brigadier général Bliss un court exposé de lasituation militaire, en m’efforçant de montrer le rôle quel’Amérique était appelée à jouer dans cette phase suprêmede la guerre. Le soir, nous dînâmes à l’ambassade deFrance , où j’eus l’occasion d’admirer le prestige et l’auto-rité dont M. Jusserand était entouré par nos amis d’Amé-rique .
Le 28, j’eus une nouvelle conférence au War College,au cours de laquelle nous eûmes l’occasion d’entrer dansle détail de notre programme et de mettre au point desquestions que nous n’avions pas encore abordées.
Mais ce jour-là est resté dans mes souvenirs comme unejournée particulièrement heureuse pour nos affaires. C’esten effet après le souper qui nous avait été offert à l’Alibi-Club, que M. Nicolas Longworth vint nous annoncerque la Chambre des représentants et le Sénat avaientvoté à une énorme majorité la loi de conscription. En pré-sence d’une impérieuse nécessité, et comme avait fait laGrande-Bretagne quelque temps auparavant, l’Amérique acceptait que le poids de la guerre pesât sur tous sescitoyens et non plus seulement sur les épaules de quelquesvolontaires. Les conséquences de cette mesure, adoptéesi rapidement, devaient être décisives pour l’issue victo-rieuse de la guerre.
Le 29 avril, après avoir dans la matinée reçu des jour-nalistes qui venaient mettre à notre disposition la voixsi puissante de la presse, j’allais à bord du May Flower,en compagnie de M. Balfour, faire un pieux pèlerinage àMount Vernon .
J’y saluais la mémoire de l’ancêtre de la nation améri-caine, et je déposais, au nom de l’armée française, unepalme sur sa tombe. Je visitais ensuite avec recueillementsa maison et m’inclinais devant le lit où il était mort.Dans une chambre une inscription que surmontaient troisépées, attira mes regards : « Ces épées ne devront pas êtretirées pour verser le sang, sauf pour la défense du payset de la liberté. Dans ce cas, il ne faudra pas les remettre