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avaient compris que l’intérêt de leur pays leur imposaitde se joindre à nous. L’Allemagne avait commis auxÉtats-Unis de telles fautes, en particulier par sa guerresous-marine, elle s’était aliéné tant de sympathies que ladiplomatie alliée eut beau jeu pour rallier à notre causeceux qui hésitaient encore. Et puis, pour l’Amérique ,jusque-là fidèle à sa politique d’isolement, une occasioninespérée s’offrait de montrer sa force à l’Europe et d’yrécolter les bénéfices d’une longue et fructueuse neutralité.L’accueil que nous fit l’Amérique officielle s’expliquaitdonc autant par des raisons d’intérêt que par des raisonsde sentiment.
Mais le peuple qui ne raisonne pas, le peuple qui n’obéiten général qu’à son instinct, à qui la raison politique estétrangère, le peuple qui était en droit de ne voir dans laguerre qu’une terrible épreuve à laquelle on l’invitait àparticiper, ce peuple à qui on allait demander de franchirl’Océan, sous la menace des sous-marins, et de venir sebattre sur une terre lointaine, aurait pu nous accueillirsans enthousiasme.
Or, comme je l’ai dit dans le récit qu’on vient de lire,partout où je suis passé, je l’ai vu devant moi frémir d’unepatriotique ardeur, me crier son affection pour la France ,et nous accabler, mes officiers et moi, de témoignages d’amitiéavec le même élan et le même cœur que si nous avionssauvé l’Amérique elle-même. Cela, je ne peux pas l’ou-blier et c’est ce dernier souvenir que je veux emporterdans la tombe, mêlé à la gratitude que je garde pour messoldats que j’ai conduits pendant deux ans et demi dansla plus terrible des guerres.
La politique, où les intérêts les moins nobles ont souventtrop de part, a trouvé le moyen, depuis, d’amonceler parmoments des nuages entre l’Amérique et nous. Quandje me rappelle ces courtes semaines du printemps 1917 queje viens de revivre en écrivant ces lignes, quand je revoisces visages ardents, ces mains tendues vers nous, quandj’entends ces clameurs de joie qui nous saluaient, je ne puiscroire que ces malentendus puissent persister.