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2 (1932)
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MÉMOIRES DU MARÉCHAL JOFFRE

avaient compris que lintérêt de leur pays leur imposaitde se joindre à nous. LAllemagne avait commis auxÉtats-Unis de telles fautes, en particulier par sa guerresous-marine, elle sétait aliéné tant de sympathies que ladiplomatie alliée eut beau jeu pour rallier à notre causeceux qui hésitaient encore. Et puis, pour lAmérique ,jusque- fidèle à sa politique disolement, une occasioninespérée soffrait de montrer sa force à lEurope et dyrécolter les bénéfices dune longue et fructueuse neutralité.Laccueil que nous fit lAmérique officielle sexpliquaitdonc autant par des raisons dintérêt que par des raisonsde sentiment.

Mais le peuple qui ne raisonne pas, le peuple qui nobéiten général quà son instinct, à qui la raison politique estétrangère, le peuple qui était en droit de ne voir dans laguerre quune terrible épreuve à laquelle on linvitait àparticiper, ce peuple à qui on allait demander de franchirlOcéan, sous la menace des sous-marins, et de venir sebattre sur une terre lointaine, aurait pu nous accueillirsans enthousiasme.

Or, comme je lai dit dans le récit quon vient de lire,partout je suis passé, je lai vu devant moi frémir dunepatriotique ardeur, me crier son affection pour la France ,et nous accabler, mes officiers et moi, de témoignages damitiéavec le même élan et le même cœur que si nous avionssauvé lAmérique elle-même. Cela, je ne peux pas lou-blier et cest ce dernier souvenir que je veux emporterdans la tombe, mêlé à la gratitude que je garde pour messoldats que jai conduits pendant deux ans et demi dansla plus terrible des guerres.

La politique, les intérêts les moins nobles ont souventtrop de part, a trouvé le moyen, depuis, damonceler parmoments des nuages entre lAmérique et nous. Quandje me rappelle ces courtes semaines du printemps 1917 queje viens de revivre en écrivant ces lignes, quand je revoisces visages ardents, ces mains tendues vers nous, quandjentends ces clameurs de joie qui nous saluaient, je ne puiscroire que ces malentendus puissent persister.